Coronavirus : en Italie, le difficile départ de "Immuni", équivalent de notre application StopCovid

Depuis 2 jours, ce sont des dizaines de milliers d’italiens qui ont téléchargé l’application de tracage italienne "Immuni", (l'équivalent de notre "StopCovid"). Testée à partir du 8 juin, dans 4 régions italiennes volontaires, elle suscite pourtant encore bien des polémiques.

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"Nos concitoyens ont bien compris l’utilité d’une telle application. Désormais, nous sommes le premier grand pays européen, et l’un des premiers au monde à utiliser cette technologie pour faire barrière au virus." Ce n’est pas sans une certaine emphase que le 1er juin dernier, Paola Pisano, la ministre italienne des nouvelles technologies, a présenté l’application pour téléphone portable "Immuni".

"En 24 heures seulement, nous avons enregistré un demi-million de téléchargements", poursuivait-elle. Omettant de dire, au passage, que non seulement l’application ne serait opérationnelle qu’à partir du 8 juin prochain, et seulement dans quatre régions tests : les Abruzzes, les Marches, les Pouilles et… plus au nord de la péninsule : la Ligurie.

 

"Les ligures n’ont pas vocation à être des cobayes"


Une région qui fait figure d’invité de dernière minute, après des jours et des jours de valse-hésitation, de déclarations destinées à déplacer le plan de traçage du Covid, indispensable en cette phase 2, sur le terrain de la polémique politicienne.

"Les ligures ne sont pas des cobayes" s’était enflammée, depuis Gênes fin mai, l’une des vice-présidentes de la région littorale. "Pourquoi donc, ce ne sont pas les régions de gauche, du Lazio (Rome) et d’Emilie-Romagne (Bologne) qui se portent candidates pour tester cette application décidée par leur gouvernement Parti démocratique (centre gauche) et 5 étoiles (populistes) ? Surtout que d’après ce que l’on nous en dit, tout est à vérifier dans ce nouveau système : les algorithmes utilisés, les distances entre les personnes tracées, la durée des contacts qu’elles ont eue, et bien sûr les renseignements personnels qui sont véhiculés par l’appli."
 
Des déclarations aussitôt corrigés par Giovanni Toti, le président de la région qui s’était porté volontaire quelques heures plus tôt, lors de la conférence des régions pour tester l’app du gouvernement dans sa région. "La Ligurie restera disponible pour approfondir toute action du gouvernement visant à faire barrière au Covid ! " (Sous-entendu : y compris au moyen de la mise en place d’"Immuni ").

Après les premières hésitations ligures, le lancement de la malheureuse application italienne devait prendre un caractère définitivement politique après l’une des toujours très médiatiques saillies de Matteo Salvini, l’ancien ministre de l’intérieur et patron de la Ligue d’extrême droite.

"Pas d’application "Immuni" pour moi. Au moins jusqu’à ce que j’ai la certitude que les données économiques, sanitaires et fiscales des italiens ne seront pas entre des mains sûres", a-t-il déclaré hier. Des mains sûres… comme les siennes, par exemple ?

"Non, je veux parler de la société privée qui a mis au point cette application et dont certains actionnaires sont chinois !" fin de citation.

 

L’app italienne testée bientôt chez Ferrari


Dans son éternel combat pour décrédibiliser le gouvernement de ses ex-alliés du parti "5 stelle" (5 étoiles), le leader populiste a bien sûr évité de s’attarder sur la jeune société milanaise qui a mis au point "Immuni".

Il s’est bien gardé de faire le portrait, trop flatteur certainement à son goût de "Bending Spoons", une start-up italienne fondée en 2013 par quatre trentenaires italiens et un polonais. Une vraie succes-story à l’italiana, pourtant, cette jeune société, propriétaire d’une douzaine d’applications téléchargées plus de 200 millions de fois. 45,5 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2018 et… cerise sur le gâteau pour les chantres du made in Italy (dont Salvini ?) : fondée en 2013 à Copenhague au Danemark, ses 5 jeunes créateurs ont décidé en 2017 de revenir s’installer à Milan pour faire travailler de jeunes chercheurs italiens, trop souvent contraints à l’exil.

Quand après cela, on vous aura dit qu’à partir du 8 juin, "Immuni" sera téléchargeable par les habitants des quatre régions volontaires pour le test, mais aussi par les employés des sites des automobiles Ferrari de Maranello et Modena, vous vous demanderez certainement pourquoi une application apparemment née sous les meilleurs auspices a tant de mal à s’imposer chez nos voisins ?

 

"Immuni" pas immunisée contre le mauvais esprit politique…


"A terme, pour que notre application soit la plus efficace possible, il faudra que 60% de la population italienne l’utilise", expliquait récemment au magazine spécialisé "Digitalic" Matteo Danieli, co-fondateur de "Bending Spoons" et responsable du projet "Immuni".

Des propos qui remontent à avant que la politique ne vienne jeter le trouble sur la nouvelle application.

Car, après la polémique liguro-ligurienne (voir début de l’article), d’autres présidents d’exécutif régionaux n’ont pas manqué de dire "Non" à l’application.

"Notre non, à nous, n’est pas une décision politique", commente aujourd’hui même Riccardo Riccardi, le vice-président de la région Frioul ! "Nous avons toujours dit que la mise en place d’une traçabilité au moyen d’une application était une chose utile", continue-t-il dans une interview au quotidien "Il Friuli".

"Mais ce qui nous gêne, c’est qu’avec cette app, il appartiendra à la seule personne ayant reçu un sms d’alerte, de contacter un médecin. Le risque géré jusqu’alors par les services sanitaires, dépendra avec l’application, de la seule bonne volonté ou non de la personne dépistée."

Et la bonne volonté, en Friuli Venezia Giulia, elle laisse peut-être un peu à désirer dès qu’il s’agit de mettre la moindre donnée personnelle en ligne. Une preuve ? Depuis le 25 mai, le dépistage sérologique du virus sur la base du volontariat, entamé par la Croix rouge italienne est loin d’avoir convaincu tout le monde. Sur près de 8000 personnes sélectionnées dans six catégories d’âges différentes et contactées téléphoniquement pour être dépistées, une minorité semble avoir donné son accord.

 

Le  « Non » de la « trop petite » vallée d’Aoste


Le volontariat, c’est pourtant l’un des points cardinaux fixés par la Commission Européenne dans ses recommandations pour la création d’une application de traçage du Covid19 dans chacun de ses états membres. Avec l’activation du "bluetooth", ce sont même les deux points de départ obligatoires pour créer une telle application.

"Beaucoup de gens nous ont dit que cela les gênaient d’activer le bluetooth sur leurs téléphones pour les besoins de l’application "Immuni", ça vous décharge votre batterie en un rien de temps !", explique, presque gêné, Mauro Baccega, le vice-président de la région vallée d’Aoste chargé de la santé.

Pourtant, la petite région francophone a payé un lourd tribut à l’épidémie de Covid. Elle a même été la seconde région d’Italie la plus touchée après la Lombardie, si l’on rapporte le nombre de ses morts (143 personnes, moyenne d’âge 83 ans) et de ses habitants contaminés (1 187 personnes) à sa population totale : 126 000 habitants.

"Justement, si nous avons refusé d’être région test, c’est parce qu’être pilote pour lancer une application nationale avec seulement 126 milles habitants, cela n’aurait aucun sens" se justifie Renzo Testolin, le président de la région vallée d’Aoste.

Non décidément, au pays des telefonini (les téléphones cellulaires) superstars, rivés à l’oreille ou au bout du doigt comme une 3ème main, la traçabilité via portable du Coronavirus ne semble pas faire recette.

Et pourtant ! si l’app avait existé en vallée d’Aoste au mois de février dernier, peut-être en saurions-nous davantage aujourd’hui sur les raisons qui ont fait de la petite vallée, située à mi-chemin entre Turin et Milan, la seconde région la plus touchée d’Italie après la Lombardie. 

Peut-être saurions-nous mieux évaluer la responsabilité de ces touristes et propriétaires de résidences secondaires, lorsqu’un certain 6 mars 2020, le soleil mais aussi les premières rumeurs de confinement ont fait se déplacer en masse vers les stations de ski valdôtaines des légions de milanais et turinois.

On aurait peut-être aussi davantage de certitude sur certaines histoires qui courent les montagnes. Celle de ce patient "numéro 0" qui ne serait autre qu’un jeune valdôtain, venu de Bergame pour voir son grand-père en basse vallée. Ou bien, plus tôt, ce couple illégitime d’amoureux milanais qui pendant le confinement s’était donné rendez-vous en vallée d’aoste et y aurait importé le virus…Vous remarquerez que dans ce dernier cas, il y a peu de chance que ce genre de couple soit tenté par la traçabilité d’une application pour portable, quelle qu’elle soit !

 
App "Immuni" italienne : comment fonctionne-t-elle ?
 
Pas très différemment en somme des autres applications mises au point dans les autres pays de l’Union Européenne.

Son objectif est le même : obtenir un traçage de proximité, plus rapide et efficace des malades du Covid. Elle peut être téléchargée par qui veut. Son utilisateur ne doit pas pouvoir être géolocalisé. La traçabilité des contacts qu’il a eu avec d’autres personnes ne sera possible que s’il accepte d’activer la fonction Bluetooth de son téléphone.

Les informations reccueillies sur la personne positive au Covid seront conservées uniquement sur son appareil. Il devra donner son accord au traitement de ses données si les services sanitaires veulent reconstituer la chronologie de ses déplacements et contacts avec des tierces personnes.

Les noms des personnes n’apparaitront que sous forme de codes chiffrés pour garantir l’anonymat. L’application enregistrera la proximité entre deux téléphones munis de l’app.

Date d’activation d’ "Immuni" : le 8 juin prochain dans les 4 régions tests.

Date d’extension à toute l’Italie… à déterminer.
 
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